“New luxuries” by Karen Torosyan, Bozar Brasserie - Artisan cuisinier

19 mars 2018

“New luxuries”

Le luxe se définit aujourd'hui de manière totalement différente d'il y a quelques années. Le temps disponible et la rareté ont un impact toujours plus grand sur notre sentiment de luxe. En cuisine aussi.  Les plats d'avant qui exigent du temps, de la patience et des connaissances spéciales ne sont plus préparés à la maison.  Parce que nos agendas chargés ne le permettent pas, parce qu'il nous manque l'énergie nécessaire pour nous y consacrer. Heureusement, il y a encore quelques restaurants qui comprennent ce manque. Les chefs se fient à leur intuition et se concentrent sur des préparations perçues aujourd'hui comme un nouveau luxe. Le retour de certains classiques magistraux caractérise notamment la cuisine de Karen Torosyan.  Modeste, l'homme se dit plus artisan et cuisinier que chef de cuisine.

Spécialités d'antan

Certaines de vos préparations, telles que les spécialités d'antan préparées en croûte ou en millefeuille, peuvent-elles être considérées comme des exemples de 'nouveau luxe'?
 
“On pourrait dire ça. Au lieu de ce que j'entends si souvent aujourd'hui, à savoir que la base du travail en cuisine est le partage du plaisir. C'est une description superficielle. Pour moi, le travail en cuisine est un plaisir évident.  Je le fais avant tout pour moi-même parce que j'aime ça. Je me lève tous les matins persuadé que je peux à nouveau m'amuser. Appelez ça une forme d'égoïsme si vous voulez. Mais il est tout de même normal que les gens ne se sentent bien et ne s'amusent au restaurant que si la personne en cuisine se dévoue pleinement à son métier. C'est quand même la quintessence de notre profession: procurer du plaisir avec des saveurs et des odeurs. C'est de cela dont il s'agit. En tant que chef, vous cherchez les meilleurs produits en fonction du niveau de cuisine que vous voulez proposer.  C'est pour ça que j'appelle mes fournisseurs. Aujourd'hui, c'est dans l'air du temps de cultiver soi-même des carottes ou de cueillir des herbes dans la nature. C'est quand même absurde. Un cuisinier n'est pas un cultivateur de légumes. Un cuisinier doit rassembler des produits et les travailler.  Bien sûr, il n'y a rien de mal à disposer de quelques épices ou d'un potager si vous avez l'espace. C'est déjà ce que faisait Roger Souvereyns il y a trente ans. Aujourd'hui, il y a d'autres chefs comme Pascal De Valkeneer, Sang Hoon Degeimbre ou Gert De Mangeleer qui se distinguent par cela."

Faire la différence

Faire la différence, créer ce type de valeur ajoutée, c'est ça la nouvelle forme du luxe?
 
"Notre travail en cuisine consiste précisément à créer de la valeur ajoutée. J'ai une approche modeste à cet égard. Il s'agit d'un acte purement physique qui exige des connaissances, qui est répétitif et émouvant dans le meilleur des cas.  Je me vois donc davantage cuisinier ou artisan que chef et encore moins artiste. Mon père était maçon et, jeune garçon, il m'emmenait parfois sur un chantier pour me montrer ce qu'il faisait réellement comme métier. Son travail - des murs parfaitement maçonnés - m'émouvait. C'est un peu la même émotion que le boulanger qui se lève à deux heures du matin pour faire sa pâte et cuire la baguette dès potron-minet parvient à susciter par l'odeur, le goût, la texture mais aussi le bruit de la baguette qui croustille. Et franchement, ça m'interpelle plus que de regarder fixement une peinture de Van Gogh dans un musée. La simplicité apparente d'un mur parfaitement maçonné ou d'une délicieuse baguette donne également de l'identité à son auteur. Son caractère répétitif n'enlève rien à son appréciation. Pour moi, c'est une caractéristique, une qualité de véritable savoir-faire artisanal qui peut vraiment me toucher."

Haut niveau d'artisanat

Cette attitude explique-t-elle également votre intérêt extraordinaire pour un certain nombre de préparations qui affichent un haut niveau d'artisanat et qui regagnent en popularité grâce à votre intérêt et à votre dévouement?
 
"Ma cuisine gagne certes en identité grâce à cela. J'adore apprendre, mais la préparation d'un pâté en croûte relève plus d'un charcutier que d'un cuisinier à vrai dire.  Pareil pour un millefeuille... c'est l'affaire du pâtissier! Je ne suis ni charcutier ni pâtissier, mais cela ne m'empêche pas de préparer ce type de plat. Attention, je ne me considère pas comme l'auteur de ces plats. Mais seulement comme quelqu'un qui les interprète et entend leur donner le meilleur goût et la meilleure forme possible. Je cherche également des éléments que je peux améliorer pour leur apporter un brin d'unicité et me les approprier dans mon répertoire personnel. C'est le cas de cette méthode que j'ai longtemps cherchée pour servir un koulibiac saumon mi-cuit très juteux.  Un saumon devrait être préparé de manière translucide aujourd'hui encore, mais la plupart des recettes en croûte rendent le saumon entièrement cuit, voire sec. J'ai donc modernisé le résultat à ce niveau-là.  Mais mon interprétation reste très fidèle à l'original, par respect."

Millefeuille spécial

Cette même attitude est-elle également à la base de votre millefeuille spécial, qui est finalement un bel exemple de ce 'nouveau luxe'?
 
“En effet.  Mes plats relevés en croûte ou encore mon bœuf Wellington ou le pithiviers sont bien accueillis. Les gens m'ont donc demandé de mettre un dessert comme le millefeuille à la carte. Mais je ne suis pas un pâtissier et j'ai beaucoup de respect pour ce métier. Il m'a fallu deux ans pour mettre la préparation au point pour que chaque couche ait la même texture, la même couleur et le même goût. Le millefeuille devait aussi avoir le bon timbre pour moi lors de la découpe.  Et pouvoir se couper en une fois sans se disloquer. J'avais aussi l'intention de réaliser ce millefeuille à la minute, avec la crème, de le laisser reposer quelques minutes, puis de le servir et de le découper à table. Pour répondre à toutes ces exigences et garantir à mes invités une expérience sensorielle complète, j'ai adapté la recette sans changer l'identité originale du millefeuille. Mon millefeuille est reconnaissable entre mille. Rien qu'en utilisant différents types de farine, en ajustant la quantité de beurre et par quelques manipulations supplémentaires, ce millefeuille attrape un croquant spécifique tout en étant particulièrement savoureux et surtout léger et aéré. A l'instar d'un chanteur d'opéra, je suis fidèle à la partition du compositeur pour que chacun reconnaisse sa musique. C'est comme ça, c'est une forme d'accord et de respect. Mais un chanteur d'opéra peut aussi donner son interprétation subtile et mettre des accents à condition que cela apporte quelque chose d'appréciable. C'est ce qu'attendent aussi les amateurs du genre.”   
 

 

  

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